Faut-il être toujours positif pour être heureux ?
Dans ce nouvel article, nous abordons le thème des émotions avec la métaphore des messagers. Histoire d’y voir un peu plus clair sur ce qu’elles cachent. Et comment l’injonction au bonheur peut vite se retourner contre nous !
Le développement des compétences émotionnelles en entreprise est parfois taxé d’être l’agent d’une injonction au bonheur. Gestion du stress, empathie, conscience émotionnelle et contrôle de soi n’auraient d’autre intérêt que de faire passer la pilule aux salariés, d’un quotidien harassant. Et de leur faire passer un message précis : vous serez toujours heureux si vous êtes toujours positif !
Défendant un coaching professionnel éthique, MicroMégas souhaite clarifier le sujet trop souvent malmené qu’est celui des émotions, en explicitant comment elles sont travaillées au cours de séances de coaching professionnel. Elles constituent en effet de précieuses alliées pour la transformation des talents volontaires.
Dans cet article, Orel Hacman, coach professionnel certifié ICF, développe son expérience du travail émotionnel.
A quoi sert une émotion ?
Il y a plusieurs façons de répondre à la question, et les neuro-scientifiques experts du sujet émotionnel ne sont pas unanimes.
Une image valant plus que mille mots, je vous propose la métaphore du messager : et si les émotions transportaient un message de l’ordre de l’instinctif ?
Exemple concret : à la veille d’une présentation à un client, votre collègue vous reproche la qualité de votre travail. Au moins deux chemins neuronaux s’activent.
Le chemin de l’analyse – schématiquement , disons qu’il “reste dans la tête” – en quête de faits et d’opinions (« je n’avais pas tous les éléments, le département Juridique ne me les a pas transmis », « je ne pense pas qu’il faille en dire plus dans la présentation, je la trouve bien comme ça », « tu crois, qu’est-ce qui te fait dire ça ? »)
Le chemin de l’émotion – qui se traduit par des sensations dans le corps (palpitations, sueurs, sourires, tons de voix…) – en quête… de rien du tout, si ce n’est de survie : je me sens triste de cette remarque, en colère, honteux, dépité. Peut-être enthousiaste, frémissant à l’idée de m’améliorer. Peut-être un mélange de tout ça ?
Face à un stimulus externe (un événement, une nouvelle…) ou interne (une pensée, une douleur physique…), ces deux chemins s’activent.
Et comme les parcours sont différents, les messages qui en résultent également. Le chemin émotionnel est comme “une pensée au présent”, instinctive, destinée à la survie ; alors que le chemin analytique prend appuie sur le passé et le futur, pour moduler la réaction possible selon un contexte complexe. Spoiler alert : les deux sont importants !
Vous souhaitez envoyer deux colis. Vous envoyez le premier avec un piéton, le second avec une cycliste. Celle-ci trace sa route en ignorant le paysage et les gens autour ; le piéton observe et suit. Plus attentif au contexte, il agrémente le paquet au cours du trajet pour qu’il soit recevable par l’extérieur. Il n’empêche, la cycliste est déjà arrivée, et selon son agilité, le colis est en bon état ou non…
Concrètement : pas évident d’assumer une crise de larmes ou un cri de joie à la moindre remarque d’un collègue, alors on utilise par exemple des mots, qui prennent plus de temps que les sensations à être élaborés dans le cerveau…
L’émotion, c’est la messagère la plus instinctive face à un stimulus. Elle nous renseigne sur les besoins universels nourris ou non chez nous. Et ce message, ni meilleur ni moins bon que celui de la raison, est si crucial qu’il finit par interférer avec ce-dernier.
Le message effectif devient un amalgame des deux (un « tu crois, qu’est-ce qui te fait dire ça ? » qui bégaie, qui attaque, qui rit…)
“La forme, c’est le fond qui remonte à la surface”
Victor Hugo
Comment travailler avec les émotions ?
Travailler avec les émotions, c’est prendre le temps de ralentir la cycliste pour lire son message. Et nous renseigner ainsi sur notre mode de fonctionnement, nos besoins prioritaires, et ce qui se joue en nous face à un événement extérieur ou une pensée intérieure. Comprendre en quelque sorte les raisons de nos émotions.
Cela suppose donc, vous vous en doutez, de ne pas les juger mais de les accueillir inconditionnellement, et c’est entre autres ce à quoi les coachs professionnel-le-s sont formé-e-s.
Tout le monde a des émotions. Tout le monde en trouve certaines agréables, et d’autres désagréables à vivre, avec des seuils de tolérance variables. C’est un fait. Pour autant, une émotion agréable n’est pas positive et une émotion désagréable n’est pas négative. Elle sont des messagères pour des besoins à nourrir, Et c’est entre autre sur cette recherche que repose le travail d’un coaching où s’invitent les émotions.
Refuser à un talent le droit à « la négativité », à la déception, la tristesse, la peur, la colère… c’est comme refuser d’utiliser un tournevis ou un clou quand on bricole. C’est un non-sens. Lui demander d’être “positif” – tout sourire, Méga-optimiste et blagueur – n’est pas le travail d’un coach. À titre personnel, je creuserais d’ailleurs plutôt la notion de positivité et de négativité avec un talent qui formulerait le sujet ainsi.
À la question « doit-on être positif pour être heureux ? », nous serions tentés de répondre « surtout pas ! » – selon les définitions usuelles que l’on donne aux faits d’être “positif” et au fait d’être “heureux” – à condition d’avoir l’espace pour accueillir des émotions désagréables et la volonté de décrypter le message qu’elles nous envoient.
Que faire des émotions désagréables ?
Les émotions désagréables, ça fait souvent peur, à soi-même, et à son entourage. D’autant plus dans le monde actuel de l’entreprise où le personnage social prévaut souvent sur l’authenticité. Notre culture cartésienne ayant de plus délaissé l’alphabétisation émotionnelle, tout le monde n’a pas le bagage pour avoir conscience de ce qu’il ressent.
Par inconfort peut-être, nous préférons parfois ne pas les vivre ou ne pas les voir, plutôt que de les écouter pour décoder leurs messages sous-jacents, croyant ainsi les “gérer” ou les “maîtriser”…
Mais la cycliste est conscienscieuse. Si le colis s’est perdu en route, elle retentera de le transmettre la fois suivante. Quitte à s’épuiser sur son vélo, à user ses freins, à dérailler… et nous avec ! Notre réaction face à la colère, la frustration ou la tristesse peut alors nous porter préjudice à nous, ou aux autres : le colis est livré… mais dans quel état ?
Une bonne hygiène émotionnelle ne consiste pas à ne jamais être tendu, mélancolique ou grognon, mais à accueillir ces états pour laisser place à un apaisement une fois que le message est entendu. Et ainsi pouvoir répondre à la situation – aussi complexe soit-elle – plus sereinement et consciemment. Plutôt que d’y réagir sous le coup de l’émotion.
D’où vient la confusion ?
Ce faisant, même en expérimentant des sensations et des émotions désagréables, nous gagnons en pouvoir de recul et d’optimisme. Et avec, cette idée que parfois une émotion désagréable était aussi une opportunité de mieux me connaître, donc une source de joie.
C’est peut-être de là que vient la confusion de croire que l’on doit être “positif” pour être “heureux” : soyons “positifs”, car même dans le désagréable, il y a de l’opportunité !
C’est oublier le chemin qu’il y a à parcourir, pour notre conscience émotionnelle et notre cycliste ! Heureusement, les professionnels de l’accompagnement sont là pour jouer les coches !
Des recommandations pour en savoir plus sur le sujet
- La Communication NonViolente, Marshall Rosenberg
- Emotions, enquête et mode d’emploi, Art-Mella